Quand l'homme fait trembler la terre


L'homme, capable de provoquer des séismes ? L'image fait sourire, et pourtant : barrages, mines, forages, géothermie agressent la croûte terrestre, engendrant parfois des réactions dévastatrices. Et les exemples se multiplient...

Devinette : quel est le lien entre un barrage, une mine, un forage pétrolier et une centrale géothermique ? Réponse : toutes ces installations peuvent déclencher des tremblements de terre. Il suffit d'ouvrir les journaux pour se rendre compte que les exemples se sont multipliés ces dernières années. Ainsi, un projet de géothermie profonde à Bâle (Suisse) en décembre 2006, une mine de charbon dans l'Utah (USA) en août 2007, et une autre dans la région de Sarrebruck (Allemagne) en février 2008 ont, tour à tour, été sous le feu des projecteurs médiatiques pour avoir enfanté une serie de séismes. Sans oublier le dévastateur tremblement de terre survenu en Chine le 12 mai 2008, que certains scientifiques audacieux relient aujourd'hui , à la présence d'un barrage voisin.

DÉJÀ DES DÉCENNIES D'OBSERVATIONS

Difficile cependant d'imaginer que l'homme puisse influencer l'imposante sphère rocheuse sur laquelle il s'affaire, telle une colonie de bactéries sur une boule de bowling. "Quoi de plus naturel qu'un séisme ?" serait-on par ailleurs tenté de penser. Pourquoi faire appel à la main de l'homme pour expliquer des secousses telluriques ? Et comment prouver que l'activité humaine est directement responsable de tel ou tel tremblement ? 
En réalité, depuis des décennies, plusieurs observations mettent la puce à l'oreille des scientifiques qui sont à l'écoute des soubresauts de notre planète. "Le soupçon d'influence naît lorsqu'il y a coïncidence dans le temps et dans l'espace entre le tremblement de terre et la mise en activité d'une installation, par exemple lors de la mise en eau d'un barrage, explique Jean-Robert Grasso, du Laboratoire de géophysique interne et tectonophysique de l'université Joseph-Fourier (Grenoble), un des rares Français à se pencher sur ce sujet. Si l'on observe un événement sismique, on s'interroge ; mais lorsque c'est une série d'événements qui se produit à un endroit précis, notre certitude augmente." 
Pour pouvoir étayer un peu plus ces soupçons d'ingérence humaine dans le quotidien tectonique de la planète, il est nécessaire de connaître précisément l'activité sismique de la région avant la mise en service des installations incriminées. En France, l'historique des secousses ressenties par la population est parfaitement documenté sur les cinq derniers siècles. Ce qui a permis notamment à Jean-Robert Grasso de démontrer de manière flagrante, dès les années 1980, que les séismes enregistrés dans la région de Pau, dont certains de magnitude 4, étaient dus à l'exploitation de l'immense gisement de gaz naturel de Lacq par Elf Aquitaine (->) . Le bassin sédimentaire aquitain était en effet connu jusque-là pour être le plus calme de France au niveau sismique. "Les tremblements de terre apparus dix ans après les premiers pompages à Lacq, en 1969, et qui perdurent depuis, ont donc été facilement repérés", explique Pascal Bernard, sismologue à l'Institut de physique du globe de Paris. 
Un autre exemple ? Dans le nord­est des Etats-Unis, l'exploitation de mines profondes, de vastes carrières à ciel ouvert et de puits d'injection de fluide en profondeur est, d'après les chercheurs, directement à l'origine d'un séisme sur trois enregistrés depuis les années 1980 dans cette région normalement peu active d'un point de vue géologique ! Et ce n'est pas une particularité locale, comme le démontrent les travaux de Christian Klose, géologue à l'Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l'université Columbia (New York).

carte1ERS KILOMÈTRES DE LA CROÛTE

Dans une tentative de recensement publiée en août 2007, ce scientifique a dénombré plus de 200 endroits dans le monde pour lesquels l'action humaine a été reconnue comme responsable du déclenchement de séismes (carte ->). Sa conclusion ? "Si l'on regarde la distribution des séismes déclenchés par l'homme à l'échelle du globe, il apparaît que la majorité d'entre eux est située dans les régions continentales stables, pour lesquelles le niveau de sismicité naturelle est historiquement bas."
Pour saisir les raisons de cette distribution, il faut comprendre que la coïncidence entre un séisme et la mise en exploitation d'un champ pétrolier ou d'un barrage est, logiquement, plus aisée à démontrer si la région n'est pas secouée en permanence. Un principe qui est d'ailleurs aussi valable lorsque l'on cherche à détecter les séismes produits par les essais nucléaires souterrains, comme celui réalisé en octobre 2006 par la Corée du Nord, et qui a déclenché une secousse de magnitude 4,2. Mais au-delà de cette meilleure capacité de détection, il existe des raisons purement géologiques à cette répartition. De fait, le risque de générer des tremblements de terre est plus important dans les régions continentales "calmes" parce que, contrairement aux endroits très actifs du globe, ce sont surtout les premiers kilomètres de la croûte terrestre, près de la surface, qui voient naître les séismes naturels. Or "ces zones sismogènes sont à portée des perturbations générées par l'activité humaine, donc plus facilement déstabilisées par elles", conclut Art McGarr, du Bureau de surveillance géologique des Etats-Unis (USGS). Un point déterminant lorsqu'il s'agit de démontrer, arguments mécaniques à l'appui, le lien entre séisme et activités humaines. Et qui permet de verser au dossier des preuves plus percutantes qu'une simple coïncidence, notamment dans les cas délicats pour lesquels il s'est passé plusieurs années entre le début de l'exploitation et la survenue d'un séisme majeur.

L'HOMME, UN "DÉCLENCHEUR"

A la base de l'argumentation des chercheurs, une théorie de mécanique des roches dite de Mohr-Coulomb, vieille de plus de cent ans et qui a fait ses preuves pour évaluer la résistance d'un matériau à la contrainte. Elaborée à partir d'expériences en laboratoire sur des cylindres de roches soumis à de fortes pressions ou tractions, cette théorie permet de décrire la façon dont une faille (une zone de fracture naturellement présente dans la croûte terrestre) s'approche ou s'éloigne de la rupture en fonction des contraintes physiques auxquelles elle est soumise. Les principales contraintes antagonistes étant, d'une part, la force verticale exercée par la masse des roches au-dessus de la faille et, d'autre part, les forces horizontales de compression ou d'extension liées aux mouvements des plaques tectoniques. Les roches réagissent à ces pressions en se déformant de façon élastique jusqu'au moment où, ces contraintes dépassant la capacité de résistance de la faille, celle-ci joue et libère l'énergie qu'elle a emmagasinée : c'est le séisme. 
Et l'homme dans tout ça ? Eh bien, en accumulant des masses impressionnantes d'eau derrière un barrage, ou en extrayant des millions de tonnes de minerai ou d'hydrocarbures du sous-sol, l'activité humaine pèse sur la croûte terrestre ou, au contraire, la soulage d'un poids. Ce faisant, elle modifie les contraintes auxquelles sont déjà soumises naturellement les failles et, en venant s'ajouter aux forces tectoniques, peut faciliter leur rupture (infographies). Autrement dit, "un séisme déclenché par l'homme est avant tout un phénomène naturel, la responsabilité de l'homme se limitant à son déclenchement", précise Leonardo Seeber, spécialiste de la sismicité induite par les activités humaines au Lamont-Doherty. Le travail des scientifiques consiste donc à démontrer que le changement de contrainte imposé par l'homme sur la faille arrive dans la bonne direction, au bon moment, et avec suffisamment d'intensité pour précipiter un tremblement de terre.

UNE PETITE PERTURBATION SUFFIT

Ce qui ressort de l'analyse des nombreux cas recensés est très étonnant : l'homme n'a pas besoin de perturber fortement le système naturel pour réactiver une faille. "Si la faille est sur le point de rompre, il peut suffire d'un changement de contrainte en profondeur, au niveau de la faille, d'un dixième de bar (c'est-à-dire équivalent à un dixième de la pression atmosphérique) pour déclencher la rupture", explique Pascal Bernard. L'homme peut ainsi précipiter l'apparition d'un séisme de la même façon qu'une mouche se posant sur un château de carte en équilibre précaire sera à même, malgré sa légèreté, de le faire s'écrouler. C'est ainsi qu'il aurait déclenché un tremblement de terre à Newcastle, en Australie, en 1989 (13 morts, 160 bléssés ->) ... Mais il n'y a pas que ces failles au bord de la ruptUre qui soient concernées, car les perturbations induites par l'homme, lorsqu'il injecte de l'eau sous pression, peuvent être de l'ordre de la dizaine de bars. Ce qui correspond justement à ce dont une faille a besoin en moyenne pour se recharger.

EFFETS À DES MILLIERS D'ANNÉES

"Des failles en milieu de cycle peuvent donc très bien être déclenchées par l'homme, pour peu qu'elles soient très proches du lieu de l'installation", précise Pascal Bernard. Si l'homme n'a qu'une pichenette à donner pour réveiller une faille endormie, il est donc à même de rivaliser avec les forces mises en œuvre par notre planète... 
On l'aura compris, les activités humaines ont la capacité bien embarrassante de précipiter le déclenchement d'un séisme. Pas question, donc, de nous dédouaner en considérant que le tremblement de terre aurait eu lieu de toute façon. Reste à savoir combien de temps l'homme a fait "gagner" à la faille. Si on s'intéresse aux régions où la vitesse à laquelle la faille se rapproche du point de rupture est élevée, comme aux limites des plaques tectoniques (Ceinture de feu du Pacifique ou chaîne himalayenne, par exemple), la perturbation humaine va rapprocher la survenue du séisme de quelques années seulement. "Mais si l'on considère les zones où les failles se chargent extremement lentement, comme au milieu d'une plaque tectonique [telles que l'Afrique du Sud, l'Australie ou l'Europe du Nord...], l'anticipation peut être de mille ans ou de dizaines de milliers d'années ! précise Leonardo Seeber. Dans ce cas, on peut considérer que ce séisme ne serait jamais arrivé sans l'intervention de l'homme."
Face à cette situation dérangeante, une question se pose donc : connaissant les perturbations que l'être humain génère, peut-on prédire la date d'un tremblement de terre ? Malheureusement pas... "Qu'il soit naturel ou déclenché par l'homme, un séisme est impossible à prévoir, constate Jean­Robert Grasso. Pour la simple raison que l'état des contraintes dans la croûte terrestre n'est pas connu et n'est pas directement accessible à l'observation." C'est d'ailleurs un défi que tentent de relever les géologues américains depuis 2004 avec l'Observatoire de la faille de San Andreas (Safod).

TOUJOURS PLUS PROFOND...

Là, des capteurs ont été placés dans des forages à 3 km sous la surface pour mesurer les propriétés des roches et leur état de stress à cette profondeur. Un terrain d'expérimentation inédit qui ne permet pas encore de dire quand la faille va se réveiller... Inutile donc d'espérer maîtriser les sautes d'humeur de la Terre suscitées par nos gratouillements. "On ne pourra jamais dire à coup sûr que si on construit dans une zone de failles, ça va casser, résume Jean-Robert Grasso. Mais il convient d'être alerté sur l'état de précarité de la croûte terrestre, qui est un système très hétérogène constitué de régions prêtes à rompre et d'autres, non." Et les scientifiques ne sont toujours pas en mesure de dire lesquelles vont rompre".
Alors qu'il est avéré que l'homme perturbe le climat en altérant les délicats équilibres atmosphériques, il est nécessaire de prendre conscience qu'il a aussi le pouvoir de mettre en colère une planète rocheuse facilement irritable. Et ce d'autant plus que, les besoins en matières premières et en énergie ne cessant de croître, l'homme s'est lancé dans une course au gigantisme, édifiant des barrages toujours plus imposants, creusant toujours plus profondément... A l'image de la mine d'or de To Tauna, en Afrique du Sud, qui vient d'atteindre 3,9 km de profondeur. Ou du forage pétrolier de Sakhaline-l, en Russie, qui s'enfonce dans la croûte terrestre sur 11 km.

 

Vers des Séismes Majeurs ?

 

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15/06/2012
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